Attention, attention : depuis la création de ce blog il y a deux ans, ceci est le tout premier article consacré à la bande dessinée, et il restera peut-être unique en son genre. Je prends la série en cours de route - j'ai lu les trois premiers tomes voici très très longtemps, et je commence donc par le tome 4.
Le mystère de l'île étrange voit nos héros en bien fâcheuse posture sur l'île au trésor où ils sont arrivés dans le tome précédent. Néanmoins, Armand de Maupertuis est bien trop rusé, Don Lope trop énergique pour attendre et voir ce qu'il advient sans broncher. Retournement de situation ? Oui, en quelque sorte. Ayroles et Masbou connaissent leur classique, et jouent à fond avec la littérature de genre : le mythe du bon sauvage est revisité, avec une pincée de traité contre l'esclavage et de récit de voyage.
N'ayons garde d'oublier la jolie demoiselle en détresse, absente de L'île au trésor, mais pas d'autres récits de pirate. Si l'une d'entre elles prête presque à sourire en dépit d'une situation désespérée, l'autre doit faire rire, et elle n'est pas vraiment faite pour ce nouveau rôle. Dans la seconde partie de l'album, ce n'est plus seulement un clin d'oeil à la comedia dell'arte que font les personnages, c'est un hommage pur et simple, et particulièrement enlevé.
J'admire particulièrement le graphisme, à la fois luxurieux pour les décor et vif pour les scènes d'action. Tous les personnages sont particulièrement expressifs, mis à part les mystérieuses créatures qui apparaissent à la moitié de ce tome. La palette des couleurs est aussi extrêmement variée, tout comme les jeux d'ombre et de lumières, ce qui est rare dans le domaine de la bande dessinée (du moins, les classiques que j'ai lus). La langue est elle aussi extrêmement châtiée, l'usage de l'alexandrin ou les citations cornéliennes sont autorisées, rendant ainsi cette bande dessinée extrêmement riche. Il est dommage qu'il ne soit plus possible de l'étudier en classe.
Je n'ai garde d'oublier Eusèbe, particulièrement sympathique. A quand un rôle au cinéma pour Eusèbe ?
Jean sans lune est le titre du tome V et en fervente normande, je ne peux que lire dans ce titre une référence à Jean sans Terre, frère cadet de Richard Coeur de Lion et fils d'Aliénor d'Aquitaine (d'ailleurs, si j'ai une fille, je l'appelerai Aliénor - mais revenons à notre album). Quant à la seconde référence historique, elle est dans le titre de "monsieur, frère du roi" que se donne Jean sans Lune : il emprunte certains traits à son modèle, monsieur, frère de Louis XIV, par sa passion du théâtre et d'autres à monsieur, frère de Louis XIII, par sa propension à se dresser contre son frère.
La difficulté est réellement de ne pas trop en dévoiler, car ce cinquième tome apporte beaucoup de réponses à des questions posées dans les quatre tomes précédents. Je dirai cependant qu'Eusèbe, dans un des planches de cette BD, acquiert vraiment une posture héroïque, tandis qu'Armand de Maupertuis est vraiment irrésistible quand il est à table.
Le dessin est toujours aussi beau, la langue aussi châtiée. Ce tome nous réserve de belles scènes de combat. Même sans cela, les personnages donnent l'impression d'être toujours en mouvement. J'adore également le jeu très ample des couleurs, qui nous transporte immédiatement d'un univers à l'autre : le bleu nuit du cachot sans lumière, l'éclatante lumière de l'île, l'ambiance feutrée ou rogeoyante crée par les bougies.
La fin de ce tome apporte un coup de théâtre de taille. Qu'en est-il dans le tome suivant ?