Maigret chez
les flamands de Simenon.
Edition France Loisirs - p. 341 à 443
Je participe grâce à ce billet à L'automne fritissime organisé par Schlabaya
Mon avis :
Par un concours de circonstances, Maigret est amené à Givet, non pour réellement enquêter, mais pour prouver l'innocence de la famille Peeters, ou plus précisément, de Joseph Peeters. Première difficulté : Maigret n'est pas officiellement chargé de l'enquête, il n'est qu'un "consultant", comme on dirait de nos jours. Il le fait par amitié pour le cousin de sa femme, l'inspecteur Machère reste seul en charge du dossier. Deuxième difficulté : il n'y a pas d'affaire, à proprement parler. Germaine Piedboeuf a disparu. Il serait pratique de croire que cette jeune ouvrière, tuberculeuse de surcroit, ait suivi un galant et ait choisi de ne plus donner signe de vie. Ce serait déjà à peine crédible si elle n'avait un petit garçon de trois ans, fils de Joseph Peeters. Il ne reste que deux hypothèses : soit elle est séquestrée (dans quel but ?) soit elle a été tuée.
Lire une enquête du commissaire Maigret revient à prendre le temps de découvrir le milieu dans lequel le crime a eu lieu. Givet est une petite ville à la frontière belge, qui vit essentiellement grâce aux mariniers qui s'y arrêtent, passage obligé avant la frontère, et les Peeters, les "flamands" sont unanimement détestés. Parce qu'ils sont riches. Parce que leur clientèle est presque exclusivement composée de mariniers flamands, qui préfèrent s'approvisionner chez eux, dans un bistrot qui leur rappelle la Flandre, plutôt que d'aller dans un estaminet français. Parce que Maria, la fille aînée, est régente chez les Ursulines de Namur, l'aristocratie enseignante. Parce qu'ils veulent faire de leur fils Joseph un avocat, il poursuit scurpuleusement ses études à Nancy. Parce qu'il circule des rumeurs sur la cause de leur richesse, contrebande et marché noir pendant la seconde guerre mondiale. Parce que Joseph devait épouser la fille unique d'un médecin et qu'il était hors de question pour sa famille de le voir épouser une petite ouvrière poitrinaire, qu'ils ont tout fait pour discréditer à ses yeux. Ce n'était pas très difficile, puisque Joseph n'a jamais eu l'intention d'épouser Germaine. Il se contente de laisser sa famille payer pension pour le petit Jojo.
Le corps de Germaine est finalement retrouvé. Le rapport d'autopsie n'est pas beau à lire. Maigret ne l'épargne pas au Peeters. Il attend. Une réaction. Il sait qu'il ne peut rien prouver - il sait aussi que l'inspecteur Machère accrédite le suspect qu'on lui a livré en patûre (suspect qui prendra opinément la fuite et qui ne sera jamais retrouvé). Il attend. Que le coupable craque. Pour se faire, il faudrait que le monde idéal dans lequel il vit se fissure. Dans le monde idéal de la famille Peeters, j'appelle Joseph, le fils. Ni très beau, ni très intelligent, il suscite pourtant l'amour passionné de sa vaporeuse cousine Marguerite, créature à la naïveté presque trop grande pour être honnête, trop amoureuse pour ne pas teinter de romantisme le moindre geste de son Joseph. Dans sa famille, il a pris la place du père, ancien vannier. L'octogénaire n'est guère qu'un meuble qu'on déplace de temps à autre. Il suscite la dévotion de sa mère, de sa soeur Maria et surtout, celle d'Anna - l'attachement envers son frère est à la limite de l'inceste. Ces cinq femmes sont-elles capables de tuer pour lui ? Je ne vous donnerai pas la réponse. Sachez seulement que la sauvagerie du crime (Germaine a été tuée à coup de marteau) n'a rien à envier à nos romans policiers modernes et que si la coupable ne sera jamais jugée (à ce stade de mon billet, je peux désormais employer le féminin), ce à quoi elle assistera, une année seulement après la clôture de l'affaire sera sans doute le pire des châitments.