Je commence mon Challenge "Vie de château" par ce qui me semblait au départ le plus difficile, et se révèle au
contraire le plus facile, étant donné la somme de lecture qui m'est impartie pendant les vacances : un film. Je ferai preuve également de logique dans le déroulement de mon challenge, en mettant
d'un côté Versaille et sa cour, de l'autre Elisabeth d'Autriche et sa descendance.
J'ai choisi de vous présenter Saint-Cyr (2000) de Patricia Mazuy parce qu'il apporte un point de vue singulier sur un personnage historique que vous rencontrerez à nouveau durant mon challenge, à savoir Madame de Maintenon.
Nous la retrouvons à un moment très particulier de sa vie, au sommet de sa réussite si j'ose dire. Françoise d'Aubigné, veuve Scarron (Isabelle Huppert) est devenue
l'épouse morganatique de Louis XIV (Jean-Pierre Kalfon). Elle a obtenu du souverain la création de la maison de Saint-Cyr, pour recueillir les jeunes filles nobles et pauvres, dont les pères, les
frères sont morts pour le roi. Elle souhaite que ses jeunes filles reçoivent une bonne éducation, puissent se marier et deviennent la gloire du royaume, bref, échappe à la vie qui a été la
sienne (elle est devenue à seize ans l'épouse du poète infirme Scarron, qui a eu la charité d'épouser une orpheline sans dot). Que de compromission a-t-elle dû faire pour en arriver là ! Sa
première apparition au côté du roi nous renseigne assez là-dessus, sans qu'il est besoin de grande démonstration.
L'arrivée des toutes jeunes filles est une des scènes phares du film. Elle montre assez dans quel état de désolation les guerres perpétuelles du roi ont laissé la France. Chacune, dans son patois (ces jeunes aristocrates ne maîtrisent pas le français) raconte qui la mort de son père, qui la mort de frère, qui la ruine de sa famille. Une amitié se noue pourtant, entre Lucie de Fontenelle (Nina Meurisse) et Anne de Grandcamp (Morgane Moré).
Le temps passe, les jeunes filles s'épanouissent grâce à une éducation relativement moderne (pour l'époque) etle point d'orgue doit en être la représentation d'Esther, pièce écrite tout spécialement par Racine (formidable Jean-François Balmer). La scène de la représentation est une de mes préférées : musique, décor, lumière, interprétation, j'ai vraiment eu l'impression d'être replongée dans un spectacle du grand siècle.
Point d'orgue, et point de chute : madame de Maintenon mesure son erreur. Ses petites protégées ne sont pas vues comme des jeunes filles d'exception, mais comme un
réservoir de chair fraîche pour une cour en manque de nouveauté. Dès lors, la maison se replie sur elle-même. La part d'ombre ne cesse de croître. Madame de Maintenon impose de nouvelles règles,
bien plus strictes, qui font la part belle à la religion, et si Anne rêve de liberté, Lucie, qui voue une admiration sans borne à madame de Maintenon, sombre et se mortifie chaque jour davantage.
Il faut dire que Saint Cyr a été construit sur des marais, et que la fièvre emporte les jeunes pensionnaires (voir l'évolution de la taille du cimetière, entre le milieu et la fin du film,
révélatrice de l'hécatombe).
Lapalissade : la mort n'est pas perçue de la même manière à cette époque qu'à la nôtre, elle est envisagée comme une délivrance, par rapport à une vie de souffrance et de compromission. Dernière scène phare : la prise d'habit d'une demi-douzaine de jeunes filles, dont certaines ont participé à la création d'Esther. Elles deviendront à leur tour les maîtresses de Saint-Cyr. L'éducation qu'elles ont reçue les rend-elle inaptes à s'adapter à la vie réelle ? Ou bien le peu qu'elles ont vu de la Cour leur a-t-elle fait comprendre qu'elles ne souhaitent pas cette vie-là ? Madame de Maintenon a atteint ses deux buts : gagner son salut et éviter à ses filles la vie qu'elle a dû mener.
Saint-Cyr est le film réussi d'un échec.