Voici ma participation pour les plumes en Z.
Il faut encore que je réfute une légende tenace : les lycanthropes, appelés par la vox populi
loup-garou, ne se métamorphosent pas uniquement à la pleine lune, ils peuvent se métamorphoser quand ils le veulent. Je vous conseille de lire à ce sujet Lycan
Magazine, la revue officielle de tous les loups-garous, remplie de conseils, certes, mais aussi d’articles scientifiques. Vous pouvez aussi mettre à profit les travaux du docteur Azelma
Shelton, professeur de lycanthropie appliquée. Je connais très bien ce docteur : c’est ma maman.
12 h 10 : Papa m’explique la raison de sa visite. La communauté vampirique cherche avec beaucoup de zèle
d’éventuels ennemis, des gens tout prêts à les empoisonner, plutôt que de les transpercer avec un pieu en argent – éviter le contact, c’est éviter les dangers. Leurs soupçons se sont donc portés
sur les Garou, qu’ils condamneraient volontiers à purger une peine de prison dans un zoo quelconque, entre les zèbres et les zébus. Le chef suprême des garous avait donc demandé à son meilleur
Alpha de chercher qui voulait semer la zizanie entre les communautés fantastiques. Papa me conseillait donc d’être encore plus prudent que d’habitude.
- Oui, papa.
13 h 00 : Silas peste en passant l’aspirateur.
« Zut ! Je suis sûr que ton père en fait exprès de venir sous cette forme. Il a encore mis des
poils partout ! Il me déteste, ou quoi ? »
Mais non, mais non, il ne te déteste presque pas. Il a juste besoin d’être discret.
Revenons 29 ans en arrière. Azelma Shelton, brillante étudiante en médecine fantastique, cherche encore sa
spécialisation. Vampire ? Loup-Garou ? Troll ? Surtout, elle est très déprimée : elle n’a pas l’ombre d’un petit ami dans sa vie, et si elle a envie de quelque chose (hum),
quelque chose que sa sœur et la plupart de ses copines ont, c’est un bébé. Un soir qu’elle discute avec ses camarades de promotion, elle fond en larmes à la vue d’un énième marmot en train de
zozoter dans sa poussette.
- Il fallait le dire ! s’exclama Erik. Si tu veux, je t’en fais un.
Ce n’est qu’après ma conception, et juste avant la première échographie qu’Erik crut bon de lui révéler sa
vraie nature.
- Azelma (il évite une assiette), je peux tout t’expliquer (seconde assiette évitée). Si je t’avais dit la vérité, tu
n’aurais jamais accepté !
Il profita de la seconde de réflexion de ma mère pour lui arracher la soupière des mains. C’est sûr, un
loup-garou, c’est rapide.
- Puis, moi aussi, j’ai envie d’un petit louveteau.
Pas de bol pour lui, ma mère n’avait plus qu’une cafetière à portée de main, et une cafetière sur la tête
fait tout de même un petit peu mal.
Autant vous dire que sa spécialisation était toute trouvée : elle voulait pouvoir me soigner au cas
où.
Seulement, aucune échographie ne montra les signes de la lycanthropie. A ma naissance, avec un mois d’avance
(seule signe de ma filiation), j’étais un bébé très ordinaire, et tout rose. Je n’avais même pas un seul cheveu sur la tête ! Les jours, les semaines passèrent, et à son grand soulagement,
ma mère ne constata aucune métamorphose, même quand la lune était à son zénith.
Par contre, être chef de meute et voir son premier né « normal », ça la fout un peu mal. Mon papa
se demanda donc s’il n’avait pas un « souci » qui expliquait qu’il n’ait jamais réussi à avoir le moindre louveteau avec des louves de sa meute, rien, zéro, nada, nichts.
Malencontreusement, il dit cela à haute et intelligible voix. La patte droite de l’actuel chef de la meute du Nord venait de se prendre une théière en pleine face. Il paraît que c’est moins
douloureux qu’une cafetière.
14 h 00 : pédiatrie.
Arthur, Sarah, Hugo, je comprends que ce soit très marrant de vous métamorphoser n’importe quand, n’importe
comment. Pensez à vos petits camarades qui ne sont pas lycanthropes ! Bien sûr, qu’ils ont eu un choc en voyant trois garous zigzaguer dans la cour de récréation. Ah, c’était le but, les
rendre zinzins ? Et bien, c'est réussi !
Pensez aussi à votre maman : à chaque fois, il faut qu’elle vous rachète des vêtements. Vous voulez
qu’elle vous laisse choisir vos propres vêtements et qu’elle arrête de vos imposer ces fringues hideuses ? Cela se défend. Bien sûr Hugo, je vais tout de suite vous donner quelques adresses
d’école pour louveteaux. Oui, je pense aussi qu’avec tout ce que vous lui avez fait endurer cette semaine, votre maman va enfin céder. Néanmoins, arrêtez de faire les zouaves, ce sera mieux pour
tout le monde.
Note : les grossesses multiples sont fréquentes chez les loups garous.
15 h 00 : second patient envoyé par Edouard. Son « chouchou », m’a-t-il dit.
De prime abord, rien ne le distinguait d’un humain ordinaire, si ce n’est la froideur de sa poignée de
main.
- Gaël de Nanterry ? dit-il d’un ton interrogatif. J’ai bien connu, j’ai même été très ami avec Charles-Antoine et
Sophie de Nanterry. Des ancêtres à vous ?
Je n’en avais aucune idée. J’avais lu son dossier avant sa venue. Louis Zéphyr Célestin Herlault, né en 1942.
Signe du zodiaque : musique ascendant chant. Il devient l’un des plus jeunes chefs d’orchestre de sa génération, et crée bientôt son propre ensemble. Sa carrière est particulièrement riche,
il a joué les œuvres les plus célèbres avec les plus grands.
- Nous venions de nous produire à la Zarzuela, devant la famille royale d’Espagne quand j’ai été poignardé.
Il est resté trois semaines dans le coma. Il raconte que son corps était immobilisé et que son esprit se
promenait dans l’hôpital. Il était techniquement un fantôme. Il ajoute qu’il a rencontré des fantômes très intéressants. Puis, le trou noir. Il est mort, et son corps a
disparu.
- Je me suis réveillé dans les égouts – je ne sais combien de temps s’était écoulé, ni même qui m’avait vampirisé. Nous
étions plusieurs, et j’étais une exception. Je n’avais aucune envie de me nourrir, aucun besoin de sang, rien. Je me laissai mourir véritablement et si je consulte, c’est parce que j’ai besoin,
contrairement à beaucoup de mes congénères, de garder un contact avec les vivants, et pas seulement ceux qui jouent à l’être. Savez-vous pourquoi je suis resté un
vampire ? Parce qu’alors que je tendais à me dissoudre, le maître vampire qui se chargeait de notre groupe m’a demandé ce qui pourrait me motiver à rester vampire. J’ai eu la bêtise de lui
dire « ma femme ». Deux jours plus tard, elle était là, toute flagada et toute vampire. Je suis responsable de ce que ce monstre lui a fait, je suis obligé de mourir et laisser
mourir.
- Je vois que vous siégez au Haut conseil vampirique.
- Oui, je suis devenu bien malgré moi un zélateur de la cause. J’ai assisté à la mise en lumière de notre communauté. J’ai
aussi aidé à la création du sang de synthèse pour vampire, d'une belle nuance zinzolin. Je m’en souviens très bien, c’était il y a 142 ans, grâce à un vampire zoulou un peu
magicien. Il a même eu l’idée d’aromatiser sa mixture avec un zeste de pamplemousse rose pour les rares vampires qui détestent l’idée de boire du sang – comme moi – mais
surtout pour ceux qui veulent varier leur régime alimentaire. »
Il avait également repris sa carrière musicale récemment – il y a quatre-vingt ans. Difficile de trouver et
de motiver des musiciens vampires. Quant aux humains, ils n’avaient pas très envie de jouer avec un être qui lorgnerait leur nuque avec trop d’intérêt.
Je le quittai presque à regrêt, quand, sur le point de sortir, il se figea subitement.
- Je sens l’aura de Russel qui s’approche. Ne me dites pas qu’il est un de vos patients ? Névrosé, lui ? Je le
connais depuis trois cents ans, et névrosé n’est pas le mot qui convient. Psychopathe, oui. Sa sœur ? Bien sûr qu’elle lui en veut et qu’elle lui pourrit sa mort, c’est lui qui l’a
vampirisée pour être moins seul, elle a largement de quoi lui en vouloir ! Croyez-moi, même si vous n’êtes pas obligé, après tout, je suis un vampire moi aussi : Russel ne fait jamais rien
s’il n’a pas un intérêt dans l’histoire. J’ai une vague idée du sien, mais je ne veux pas vous paniquer inutilement.»