éditions Le Livre de poche - 186 pages.
Mon résumé :
Angleterre, les années 60. Harriet et David, jeunes gens un peu anachroniques, se rencontrent au cours d'une soirée. très vite, ils comprennent qu'ils sont fait l'un pour l'autre. Ils se marient, ils achètent une très grande maison, ils ont un premier enfant, très rapidement (ils rêvent d'une grande famille), puis deux, puis trois, quatre. La cinquième grossesse change tout : plus pénible que les précédentes, elle est vécue dans la souffrance par Harriet. Quand elle met au monde Ben, onze livres, elle est soulagée. Pourtant, cet enfant, si différent des autres, provoque la discorde dans sa famille.
Mon avis :
Le cinquième enfant est un roman prenant. Très vite, l'écriture sèche et pointue de Doris Lessing nous force à nous questionner. Bien avant la naissance de Ben, elle dénonce l'hypocrisie d'un milieu bien pensant. Harriet et David sont heureux, mais ils ne pourraient pas vivre sans l'aide financière du père de David. ils sont respectueux des traditions : Harriet refuse la contraception, et les quatre premiers enfants naissent dans le grand lit familial. Ils réunissent toute la famille au cours de grandes fêtes - de là à dire qu'ils sont entourés d'une bande de pique-assiettes, il y a un pas que l'auteur ne franchit jamais mais suggère habilement. Surtout, personne ne sort de la norme bien-pensante, si ce n'est un incident de parcours : la naissance d'Amy, nièce d'Harriet, atteinte de trisomie 21. Elle "terrifie" son père, surtout, elle ne doit "déranger" personne. Quand Harriet expose à son mari son opinion sur l'origine de la trisomie de la petite Amy (la mésentente entre ses parents), elle révèle à la fois son conformisme et son obscurantisme.
Aussi est-elle quasiment prête à recevoir la naissance de Ben comme un châtiment pour tant de bonheur. Or, Ben, indubitablement, n'est pas qu'un enfant, il est aussi, dans ce roman, un symbole. Il représente la peur de l'autre, la peur de la différence, la peur de l'étrange étranger, y compris au sein de sa propre famille. Différent, il serait atteint d'une pathologie que personne ne veut ou ne peut nommer. Le bon docteur de famille soutient qu'il est simplement hyperactif. "Aucun de nous n'a jamais rien vu de tel" déclare le jeune médecin de l'institut où il a été emmené (ou comment dissimuler aux yeux du monde toute trace d'anormalité). La spécialiste qui examine Ben s'intéresse moins à l'enfant qu'à sa mère, sur laquelle elle pose un diagnostique sans même lui avoir parlé. Bref, personne n'a de solution puisque le problème n'est jamais cerné.
En revanche, la famille se décompose largement sous nos yeux. Les enfants quittent un à un la maison, pour une famille de substitution, ou pour la pension. Le seul lien qui les unit est l'argent, nécessaire pour aller dans les bonnes écoles (pas question d'aller dans une école publique !). Chacun juge cruellement Harriet, pour avoir mis au monde un être différent et pour l'avoir gardé au monde, alors que tous voulait s'en débarrasser. Cette naissance et sa croissance hors norme coïncide également avec un phénomène que nous connaissons bien : la montée de l'insécurité (ou du moins, ce qui est ressenti comme tel). Harriet n'ose plus sortir le soir, même dans son quartier si tranquille, la télévision montre des images d'émeutes avec, au second plan, Ben et ses nouveaux amis.
Au cours de ce roman, jamais nous n'avons le point de vue de Ben. Si, physiquement, il est plus développé que les autres enfants, plus précoce, son apprentissage du langage est beaucoup plus lent. Que ressent-il, que pense-t-il, lui qui a été abruti de calmants dès le ventre de sa mère ? Difficile de le savoir. Une suite existe à ce roman, le monde de Ben. Je ne suis pas sûre d'avoir envie de le lire, je préfère rester avec cette fin ouverte.