Circonstance de lecture :
J'ai lu ce roman grâce à un partenariat avec les éditions Kyklos et le forum Partage-Lecture.
Mon avis :
Tout d'abord, je me suis interrogée sur le lien qui unit Gabrielle à Lila tant leurs destin paraissent inexorablement liés bien qu'elles semblent les exactes
opposées : l’une ne joue qu’en public et refuse les enregistrements, l’autre ne se sent bien qu’en studio et peine à jouer sur scène. Pourtant, des faits les rapprochent : une enfance sans amour
maternel, une vie amoureuse frustrante, une difficulté à être mère. Gabrielle renonce à sa carrière à la mort de Lila, et pourtant demeure obsédée par Lila. En fait, l'un des motifs est que le
public a cherché à faire revivre Lila à travers elle. Jouer devenait alors prendre une place qui n’était pas la sienne, et perdre son identité.Gabrielle n’en continuera pas moins de se chercher.
Elle est devenue écrivain, elle est donc toujours une artiste mais elle elle rédige la vie des autres, et plus spécialement la vie de Lila comme si elle était incapable de vivre la sienne
Qui est véritablement Lila ? Tant de voix se mêlent dans le roman pour nous dire qui elle était : la biographie de Gabrielle, une notice biographique trouvée sur Internet. Puis, ce sont les
lettres, envoyées à Gabrielle qui nous permettent de connaître la vraie Lila, qui fut seule, même quand elle était unanimement adulée. Au cours de sa quête, Gabrielle va rencontrer les proches de
Lila. Chacun expose tour à tour ce qu’il savait d’elle, ce qu’elle a bien voulu lui livrer. Eux-même se sont forgés une image d'elle, morcelée, parcellaire, qui n'a rien à voir avec son identité
profonde.
Cette quête va aussi amener Gabrielle à s'interroger sur sa vie. En cherchant la vérité sur la mort de Lila, Gabrielle se cherche elle-même. Elle se reconstruit autant qu'elle reconstruit
l'itinéraire de Lila, qui va la mener dans des lieux que l'Histoire a profondément marqué et où la musique a son importance. La musique, ses interprètes, ses professeurs. Si un artiste cherche à
passer à la postérité, il lui reste, après les concerts, les enregistrements, une troisième voie : l'enseignement. Transmettre son art tout en n'étouffant pas la personnalité de son élève est
essentiel et à ce jeu, Sergeï a pleinement réussi, lui qui enseigne à Gabrielle et fait d'elle une pianiste à part entière. Même Lila, à sa manière, a réussi à former une jeune pianiste, en
dehors des voies conventionnelles.
La musique est omniprésente, et se retrouve dans la musique des mots. Chaque phrase est soigneusement ciselée, chaque chapitre est harmonieusement construit. Ce roman est court mais possède une
extraordinaire densité, perceptible dès le titre. "L'incarnation des possibles" prouve que chacun peut prendre son destin en main, changer radicalement de voie, et tant pis si cela bouscule les
clichés. La fin grandiose de Lila, dans un feu purificateur qui anéantit à la fois la pianiste et l'histoire de la famille est ce que l'on attend d'une pianiste éblouissante. L'épilogue du roman
(c'est ainsi que je considère le chapitre treize, qui se déroule trois ans après le chapitre douze) nous montre des personnages apaisés, parce qu'ils ont réussi à débuter une nouvelle vie.
Un grand merci aux éditions Kyklos, au forum Partage-Lecture et à Thot pour cette belle découverte littéraire et musicale.
PS : pour ceux qui n'ont jamais joué une œuvre de Chopin, je me permets de conseiller de découvrir ses œuvres avant ou même pendant la lecture de ce roman.