Notre guerre et notre vécu en Algérie de Jean-Yves Jaffres.
Merci aux agents littéraires pour ce partenariat. Merci à l’auteur pour le travail effectué.
Mon avis :
J’ai mis beaucoup de temps à lire ce livre, pour lequel j’ai postulé auprès des agents littéraires. Il faudrait que je m’interroge un jour sur mon besoin de lire ces témoignages de ceux qui ont vécu des guerres, témoignages qui sont très marquants.
Préambule personnel : les témoignages sur cette période sont rares. La guerre, à l’époque, ne disait pas son nom. Il est facile de dire après coup que les soldats envoyés là-bas auraient pu ne pas y aller – je ne crois pas que déserter était si évident dans les années cinquante-soixante, ni que les objecteurs de conscience étaient nombreux.
Dans le premier chapitre, Jean-Yves Jaffres rappelle l’histoire de la conscription en France. Après ce préambule, il livre un témoignage particulièrement poignant : celui de quatre prisonniers du FLN. Les mots sont simples, bruts poignants. Ce ne fut pas la partie la plus facile à lire – si tant est qu’il y en est eu une. Les photos qui illustrent ce chapitre mettent un visage sur ces témoignages. L’amertume est perceptible, bien que les années aient passées. La douleur aussi, physique, bien sûr, mais moral, surtout. Dire l'indiscible.
Le second chapitre parle des « rappelés ». Je ne connaissais pas vraiment ce terme avant de lire cet ouvrage. Ce journal de six mois est concis et précis. Il rapporte la vie quotidienne, les opérations, l’entraînement.
Le chapitre trois est un journal, autant dire un témoignage assez rare : Jean-Yves Jaffres ne l’a pas retouché, il a eu raison. On pourrait reprocher au texte de ne pas être assez littéraire, ce n’est pas le but. Les tâches quotidiennes et les opérations alternent. Le texte parfois est extrêmement concis, proche de la prise de note.
Le chapitre 4 et le chapitre 5 sont des extraits de journal de marche d'une Batterie (je souligne encore mon ignorance au sujet de ce terme).
Le chapitre six semble une litanie : je retiens le nombre de tués que rien ne semble conjurer. J'ignorais aussi avant de lire ce livre que les compagnies de dragon existaient encore.
Le chapitre 7 se scinde en trois parties, trois formes de témoignage : j'étais dans le train, abondamment illustré par les documents d'époque, j'étais dans la Marine dont je retiens cette longue citation : "Au feu, on ne se déguise pas - On est ce qu'on est- Car vous qui avez servi en Algérie en Tunisie et au maroc, fussiez-vous colonel, capitaine, ou 2e classe, eussiez-vous commandé une Unité au feu, simplement essuyé quelques rafales, ou fait votre humble boulot dans un d^pôt d'essence, au foyer, ou au magasin d'intendance sans jamais entendre le claquement d'une balle, si vous avez fait votre travail, votre devoir avec conscience, eussiez-vous une Croix de la Valeur Miliaire surchargée de palmes, ou simplement la carte du Combattant, soyez fiers ; ne rougissez pas, ne vous excusez pas, et laissant l'oppobre à ceux qui savaient ce qu'ils faisaient - Revendiquez avec orgueil votre titre de Combattant d'Algérie" Colonel Henri de Mire, p. 212.
Il parle aussi de ces hommes qui n'en ont pas fini avec la guerre d'Algérie parce qu'ils n'ont pas oublié les tragédies dont ils ont été témoins et qui, aujourd'hui, entendent les mêmes constats manichéens : "J'ai pensé et pense encore à tous ces morts pour rien, à tous ces blessés, aussi bien dans leur chair que dans leur coeur, à tous ces porteurs d'uniformes sur lesquels planent aujourd'hui les ombres de drôles d'images", p. 226, témoignage de Joël Avignon, fusillier marin.
La troisième partie, constacré aux paras, prend une curieuse résonnance pour moi (et oui, je viens de voir un film où les paras sont présentés comme des hommes aimant la violence et la torture) car il montre avant tout les pertes et les disparitions subies par ses compagnies. Je ne me leurre pas : l'image de ce qu'il est advenu de ses hommes m'a empêchée de dormir après la lecture de ce chapitre.
Le chapitre 8 s'intitule Divers témoignages et anecdotes d'Algérie. Bien sûr, j'aurai envie de les citer tous. Si certains contiennent des vrais moments "d'apaisement", ils n'oublient jamais que l'horreur quotidienne n'est pas loin. La mort d'un jeune soldat. La corvée de bois qui sévissait dans les camps de prisonniers (les soldats ne se voilent pas la face). Une femme témoigne : une jeune bretonne qui s'est mariée à un appelé et a mis au monde en Algérie son premier enfant.
Le chapitre 9, Souvenirs d'Algérie, comporte six témoignages différents mais tous ont le même dénominateur : la mort d'un camarade ou d'un civil ne s'oublie pas. Témoignage rare que les lettres du docteur Jean Boyadjian à son cousin. Ce témoignage à chaud a eu la chance de parvenir jusqu'à nous.
Le chapitre 10, Le Sahara, est un chapitre presque reposant, puisqu'il décrit la vie quotidienne, les coutumes et la flore dans le Sud de l'Algérie. Le narrateur n'oublie pas de nous parler de sa vie d'appelé mais aussi de son parcours d'après l'Algérie. La vie a continué.
Le chapitre 11 J'étais instituteur en Algérie m'a bien sûr particulièrement intéressée. J'ai eu l'impression que, déjà, à l'époque, on avait une fâcheuse tendance à envoyer les jeunes instituteurs "au charbon", sans formation particulière. Je retiens ces phrases de René Jet, p. 362 : La guerre d'Algérie est réellement finie. Mais que de gâchis ! [...] La France métropolitaine n'avait jamais voulu regarder le problème en face. Elle ne s'est intéressée à l'Algérie que lorsque le sang a coulé. Le sang européen. On n'a pas voulu considérer les musulmans comme des hommes. Quand on l'a fait, c'était trop tard. Bien trop tard.
L'ultime chapitre contient des témoignages d'ex-prisonnier du FLN, d'algériens, mais aussi des femmes, des fiancées, ou simplement des amies (futures épouses) des appelés.