édition Gallimard - 128 pages.
Quatrième de couverture :
Ceux-là viennent de Moscou et ne savent pas où ils vont. Ils sont nombreux, plus d’une centaine, des gars jeunes, blancs, pâles même, hâves et tondus, les bras
veineux le regard qui piétine, le torse encagé dans un marcel kaki, allongés sur les couchettes, laissant pendre leur ennui résigné dans le vide, plus de quarante heures qu’ils sont là, à
touche-touche, coincés dans la latence du train, les conscrits.»
Pendant quelques jours, le jeune appelé Aliocha et Hélène, une Française montée en gare de Krasnoïarsk, vont partager en secret le même compartiment, supporter les
malentendus de cette promiscuité forcée et déjouer la traque au déserteur qui fait rage d’un bout à l’autre du Transsibérien. Les voilà condamnés à fuir vers l’est, chacun selon sa logique propre
et incommunicable.
Challenge en train de lire par Aux bouquins garnis
Mon avis :
Je voulais lire ce livre depuis quelques temps, et je dois dire que je ne suis pas déçue par cette première rencontre avec Maylis de Kérangal.
Hélène prend la tangente, c'est à dire qu'elle prend ce train mythique, le transibbérien, afin de fuir Anton, son amant russe. Ce même train emporte des conscrits vers la Sibérie, et parmi eux, Aliocha, bien décidé à fuir la conscription et son cortège de brimades et autres maltraitance. Ils n'ont en commun que ce besoin viscéral de fuir leur situation personnelle, qui les rapproche peu à peu.
Fuir, oui, mais la fuite est quasi-impossible. Les arrêts sont autant de station dans le calvaire d'Aliocha : le train, les gares sont des mondes clos dont il est impossible de s'enfuir. Et même Hélène qui se croit libre - libre de quitter son amant, libre de cacher la fuite d'un déserteur - se rend compte peu à peu à quel point ce sentiment était illusoire.
Le style lui-même épouse ce sentiment d'urgence, entre ses longues phrases qui épousent la sinuosité du parcours, et cette abondance de proposition très courte, qui marquent des accélérations dans le récit, au point de donner parfois l'impression de lire des notes prises à la volée. Le choix du présent de narration atténue la distance entre les personnages et le lecteur : j'ai eu l'impression d'être avec eux dans ce train en partance pour la Sibérie. Et s'il n'y a pas de dialogue, parce qu'Hélène et Aliocha ne parlent pas la même langue, parce que la parole n'est là, finalement, que pur donner des ordres, la compréhension s'établit autrement entre les deux protagonistes.
Tangente vers l'Est est un beau roman, et pas seulement pour ceux qui, comme moi, aiment la Russie, sa littérature et son histoire.